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Titel
L'emploi du temps. L'industrie horlogère suisse et l'immigration (1930–1980)


Autor(en)
Garufo, Francesco
Erschienen
Lausanne 2015: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
341 S.
Preis
€ 24,55
URL
von
Helene Pasquier

Dans cette version remaniée de sa thèse de doctorat, Francesco Garufo propose une histoire des migrations et de l’emploi dans la branche horlogère suisse entre 1930 et 1980. La grande force de cet ouvrage réside dans l’approche pluridisciplinaire adoptée et la multiplicité des types de sources (histoire orale, statistiques, archives d’entreprise, archives syndicales, archives communales du pays de départ et archives cantonales de la région d’immigration). Pour aboutir à cette analyse à 3608 degrés, F. Garufo allie les concepts théoriques issus de l’histoire des migrations, l’histoire politique, industrielle, entrepreneuriale ou encore sociale. Il analyse autant les perspectives macro-économiques que la réalité micro-économique.

La première partie de l’ouvrage est consacrée aux régulateurs que sont l’État, les organisations horlogères et syndicales. La période 1958–1974 est la plus intéressante, car l’auteur montre avec finesse toute la dichotomie de la situation durant ce laps de temps. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la branche horlogère est encore fortement empreinte de la politique cartellaire mise en place par ses membres au début des années 1930. Aussi les horlogers veillent-ils à maîtriser la croissance de leur appareil de production en régulant les autorisations d’engagement accordées aux entreprises. Craignant une transplantation des savoir-faire au-dehors des frontières, les horlogers défendent leur industrie vis-à-vis de la concurrence étrangère. Pour cela, ils renoncent à engager du personnel étranger. Cette situation de «non-ouverture» s’oppose à l’attitude de l’État fédéral plutôt enclin à l’arrivée de migrants pour soutenir une économie en plein boom. La tendance s’inverse dès 1958. La branche horlogère adopte alors un assouplissement des mesures cartellaires tandis que l’État fédéral – confronté aux débats sur la surchauffe économique et la peur du surnombre – adopte dès 1960 des mesures restrictives. Les industriels horlogers cherchent alors à contourner les quotas imposés.

La deuxième partie s’intéresse à la politique de recrutement adoptée durant cette période par la manufacture horlogère Tissot. Au fil des décisions prises par le cartel et l’État fédéral, elle modifie ses bassins de recrutement.

Jusqu’à la fin du second conflit mondial, la demande de main-d’œuvre étrangère est très marginale. Dès le début des années 1950, la branche horlogère suisse connaît une forte augmentation des commandes. La transformation et l’automatisation des ateliers entraînent parallèlement un changement dans les besoins en personnel. Désormais, les fabricants horlogers recherchent en grand nombre une main-d’œuvre peu qualifiée mais de grande dextérité. Pour parer à ce manque de personnel, la maison Tissot complète ses effectifs en engageant des ouvrières tessinoises et valaisannes.

À partir de 1956 – date à laquelle le cartel commence à assouplir ses mesures cartellaires en matière de recrutement –, la manufacture Tissot recrute en Italie. À grand renfort de statistiques, F. Garufo étudie avec minutie les bassins de recrutement qui, d’abord confinés à l’Italie du Nord, s’étendent à travers le temps vers le sud du pays. La main-d’œuvre est essentiellement jeune, féminine et célibataire. Ces migrants jouent alors le rôle d’amortisseur conjoncturel souhaité par les autorités helvétiques. Lors du ralentissement économique de 1958, ils sont alors renvoyés dans leur pays d’origine au grand dam de l’entreprise Tissot qui apprécie leur aptitude de travail.

Dès 1960, la société Tissot recrute du personnel frontalier qualifié en horlogerie. Pour l’employeur loclois, cette main-d’œuvre ne nécessite pas la création de logements contrairement au personnel tessinois, valaisan ou encore italien. De plus, les frontaliers sortent dès 1966 des effectifs soumis au contingentement étatique. Cette particularité permet alors à l’entreprise d’engager ce personnel sans demander d’autorisation spéciale aux autorités administratives helvétiques.

Pour cette deuxième partie liée à la pratique des entreprises horlogères, F. Garufo admet qu’il aurait fallu multiplier les cas d’étude. Il aurait en effet été intéressant d’étudier les bassins de recrutement privilégiés par une entreprise installée hors de la zone transfrontalière (10 km de part et d’autre) durant les années 1960 tandis que la maison Tissot engage massivement du personnel transfrontalier.

Dans la troisième et dernière partie, F. Garufo donne la parole aux acteurs (migrantes italiennes, frontaliers et cadres suisses). En adoptant les méthodes issues de l’histoire orale, l’auteur éclaire les deux précédentes parties par le ressenti et le vécu des ouvrier-ère-s au quotidien. Il souligne ainsi la singularité et les similitudes des expériences individuelles.

Il retrace le parcours des migrants depuis leur lieu d’origine en Italie (Roncola) jusqu’à leur lieu de travail en Suisse. Leur récit permet de dresser une typologique de la migration: le clivage de genre (homme/femme), les canaux de recrutement, les allers- retours au pays, les motivations individuelles, l’influence des réseaux ou encore le traumatisme de la visite médicale à la frontière. F. Garufo met également en évidence la mobilité des migrants en Suisse. Ces derniers changent d’employeurs, de régions, parfois de métiers.

Ensuite, F. Garufo s’interroge sur le flux des transfrontalier-ère-s déjà actifs dans le secteur de l’horlogerie française, à leur mobilité verticale, à leur motivation, à leur précarité lors de la crise horlogère qui éclate dès 1974. Il évoque également les discussions menées entre les autorités françaises et helvétiques au sujet des frontalier-ère-s (assurance maladie, sécurité sociale, participation financière à l’aménagement des infrastructures routières, etc.).

Dans son ouvrage, F. Garufo embrasse dans un même regard les flux migratoires internationaux, nationaux et frontaliers. Par son analyse fine et tripartite, il montre que les différents acteurs de la branche horlogère appréhendent une même situation de manière souvent différente. Les chronologies des «régulateurs», des entreprises et des migrants se superposent, s’éloignent ou encore se rapprochent au fil des événements. Par cette étude, F. Garufo aborde l’histoire économique et sociale d’une manière originale et encore relativement méconnue. Il a également le mérite de donner la parole aux individus et ainsi colorer les faits historiques de leurs souvenirs, leurs perceptions et leurs vécus.

Zitierweise:
Helene Pasquier: Rezension zu: Francesco Garufo: L’emploi du temps. L’industrie horlogère suisse et l’immigration (1930–1980), Lausanne: Éditions Antipodes, 2015. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 2, 2018, S. 411-413.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 2, 2018, S. 411-413.

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